ANALYSE CRITIQUE DE LA LOI DE FINANCES DU BURUNDI, Exercice 2012

mercredi 4 juillet 2012,par Jean Bosco Nzosaba

RESUME EXECUTIF

L’Observatoire de l’Action Gouvernementale (OAG) a initié depuis 2007 une analyse portant sur le Budget Général de l’Etat du Burundi pour chaque exercice. L’analyse du Budget Général de l’Etat, exercice 2012, coïncide avec le début de la mise en œuvre du CSLP-II et par conséquent, ce budget devrait être le reflet de la concrétisation des investissements prioritaires prévus dans le document du CSLP-II. Plus spécifiquement, l’analyse va se concentrer sur le financement de la santé publique et la sensibilité de ce budget aux questions du genre. L’ambition principale de la présente étude est de contribuer à asseoir une politique budgétaire basée sur les objectifs de développement socio-économique du pays. Cadre de l’élaboration du budget 2012 Le budget du Gouvernement de la République du Burundi pour l’exercice 2012 marque un tournant dans la mesure où il s’aligne avec le CSLP-II. Il a donc été préparé sur un horizon pluriannuel et, de ce fait, s’engage dans une transition entre le budget annuel et la budgétisation par programme consistant en une approche par grands domaines d’intervention et par objectifs de résultats spécifiques. Le Cadre des Dépenses à Moyen Terme (CDMT), comme instrument de programmation triennal (2012-2014) glissant, permet de placer la gestion budgétaire dans une perspective pluriannuelle, afin de renforcer la discipline budgétaire globale, renforcer l’efficacité de l’allocation intersectorielle des ressources et améliorer la performance opérationnelle. Du contenu de la lettre de cadrage

Bien que la lettre de cadrage prévoie la préparation, par les ministères sectoriels, des projets de lois de finances dans le cadre des CDMT (2012-2014), les crédits budgétaires n’ont pas obéi à cette forme de présentation. Par ailleurs, la lettre de cadrage qui rappelle une préparation budgétaire axée sur les CDMT devait être subordonnée à mise en place des textes légaux (Loi, décret et/ou ordonnance) afférents aux CBMT/CDMT.

Les exigences du cadre de préparation de la Loi de Finances n’ont pas été scrupuleusement respectées. Les principales lacunes constatées, en ce qui concerne la préparation du Projet de Loi de Finances 2012, sont reprises dans les lignes qui suivent : è le rapport sur la situation des finances publiques et les orientations à moyen terme de la politique budgétaire n’a pas été présenté au Parlement en violation de l’article 13 de la Loi Organique Relative aux Finances Publiques

è le calendrier budgétaire n’a pas été respecté. Ce qui signifie que, du fait de non respect des délais requis, reconnus par la loi, l’analyse approfondie, par le Parlement, du Projet de Loi de Finances 2012 n’a pas été observée,

è le Projet de Loi de Règlement et de compte –rendu budgétaire n’a pas été soumis au Parlement comme le précise la loi è les articles 26 et 27 de la Loi Organique des Finances Publiques énumèrent un certain nombre de documents qui devaient être annexés à la Loi de Finances 2012, néanmoins qui ne l’ont pas été. Il s’agit du tableau de financement prévisionnel, accompagné d’un plan de trésorerie mensuel, faisant apparaître la décomposition de l’endettement financier brut de l’Etat et les comptes consolidés de l’ensemble des administrations publiques pour le dernier exercice clos. Cette situation, toutes choses étant égales par ailleurs, n’a pas permis au Parlement d’analyser objectivement tout le contenu du Projet de Loi de Finances 2012.

En analysant la lettre de cadrage budgétaire pour la période 2012-2014, on s’aperçoit que les données qui devaient alimenter le CDMT n’ont pas été exhaustives.

En effet, les données du TOFE, utilisées dans le cadre de la préparation du Projet de Loi de Finances 2012, ne couvrent pas toutes les opérations financières de l’ensemble de l’administration publique. Certaines informations financières ne sont pas intégrées dans la balance générale de comptes de l’Etat. C’est ainsi que des mobilisations de ressources extérieures effectuées à traves des ONGs ne transparaissent pas dans le TOFE . Ce qui altère la fiabilité des données du CDMT et partant, le réalisme du Budget Général de l’Etat, exercice 2012.

Analyse du cadre des débats et conférences budgétaires

De cet article, il en découle que le Ministre ayant les finances dans ses attributions dispose des pouvoirs étendus, voire même exorbitants, en ce qui concerne la l’élaboration du Budget Général de l’Etat bien que ces pouvoirs lui soient conférés par les lois en vigueur. Les représentants des ministères dépensiers (Ordonnateurs secondaires des budgets) et les Gestionnaires des crédits alloués aux entités à autonomie de gestion ( ordonnateurs secondaires et ordonnateurs délégués) n’ont joué qu’un rôle passif. La transmission tardive, par les ministères sectoriels, des projets des budgets respectifs concernant l’exercice 2012, implique que les discussions budgétaires se sont menées sous contraintes. Pour palier à cette situation, il serait mieux d’envisager, à terme, réforme budgétaire de responsabilisation des ordonnateurs secondaires des crédits budgétaires pour asseoir une culture axée sur les résultats et de redevabilité. Loi de Finances 2012 au regard des grands principes budgétaires La Loi de Finances 2012 respecte, de façon générale, les quatre grands principes budgétaires, à savoir l’annualité, l’unicité, l’universalité et la spécialité. L’existence de ces principes favorise l’activité de contrôle du Parlement. Certains aménagements mineurs aux principes budgétaires ont été opéré pour tenir compte de la nouvelle approche de budgétisation par programme (CDMT /CBMT ).

Alignement de la Loi de Finances, exercice 2012, aux programmes prioritaires du Gouvernement

La lettre de cadrage qui encadre l’élaboration de la Loi de Finances, exercice 2012, a été préparée après la finalisation du CSLP II. Autrement dit, les orientations, en matière d’allocations budgétaires, devraient s’aligner aux priorités du Gouvernement telles qu’elles apparaissent dans le CSLP II.

Ainsi les grandes orientations budgétaires 2012 sont :

  le développement économique et promotion de la croissance afin de relever le défi de la promotion de croissance économique et d’améliorer les conditions de vie en milieu rural en stimulant la production ;
  le développement des infrastructures qui bénéficiera d’une attention méritée, surtout en ce qui concerne les routes, les infrastructures énergétiques et hydrauliques ;
  le développement social qui maintiendra sa part relativement maintenue de 37,4% des ressources à l’horizon 2014 surtout dans les domaines de l’éducation et de la santé ;
  le développement équilibré et durable bénéficiera, sur la période 2012-2014, une part relative de 2,8% du PIB.

Analyse de la structure du budget 2012 et son évolution par rapport aux budgets antérieurs Les recettes fiscales hors exonérations en 2012 sont estimées à 507.2 milliards de FBU contre 412.6 milliards de FBU en 2011. Les ressources du Budget Général de l’Etat (dons compris) passent de 927.4 milliards à 1096.4 milliards de FBU, soit une augmentation de 18.2%. Le budget du Burundi franchit ainsi en 2012 le cap de mille milliards de FBU. Notons que depuis 2005 à 2012, le budget général de l’Etat a été augmenté de plus de 271%. L’augmentation des ressources pour le budget 2012 s’observe au niveau des quatre grandes catégories de recettes, à savoir les produits fiscaux, les produits non fiscaux, les dons et les produits exceptionnels. Le budget des charges est en augmentation Les dépenses totales du budget 2012 équivalent à 1211,7 milliards de FBU soit un accroissement de 18,1% a par rapport à l’exercice 2011. Les dépenses courantes passent de 573.0 milliards de FBU en 2011 à 613.9 milliards de FBU en 2012, soit un accroissement de 7.1% lié essentiellement aux charges salariales, aux transferts et subsides et au versement d’intérêts intérieurs. Les charges salariales passent de 272,4 milliards de FBU en 2011 à 280,7 milliards de FBU en 2012, soit une augmentation de 3,0%. Financement du déficit Les ressources totales attendues pour l’exercice 2012 se chiffrent à 1 096,4 Mrds de FBU tandis que les dépenses totales s’élèvent à 1 211,7 Mrds de FBU, soit un déficit global avec dons de 115,3 Mrds de FBU contre 98,8 milliards de FBU en 2011. En vu de financer le déficit budgétaire, le Gouvernement devra soit, augmenter les recettes internes par la hausse des impôts, soit contracter des emprunts ou à réduire les dépenses publiques. Le gouvernement attend un financement extérieur net du déficit équivalant à 1,5 milliards de FBU et un financement intérieur net de 113,2 milliards de FBU. La provenance du financement du déficit du Budget Général de l’Etat pour l’exercice 2012 sera surtout le recours au tirage sur la dette extérieur et à l’emprunt intérieur auprès du système bancaire et non bancaire. Orientations budgétaires et enveloppes sectorielles La répartition du budget 2012 entre les secteurs généraux, économiques et sociaux est déséquilibrée en faveur des secteurs généraux. Les ressources ne sont donc pas nécessairement alignées aux défis auxquels les populations sont confrontées. Au niveau ministériel, les départements les mieux servis sont l’éducation (25,5%), les finances et la planification (19,8%), la défense (11,3%), la santé (8,8%), la sécurité publique (7%), les hautes sphères d’autorités indépendantes (5,7%), l’agriculture et l’élevage (5,8%), justice (3,2%). Les autres ministères pris ensemble ne reçoivent que 18,7% du budget. Analyse de la loi budgétaire par rapport aux investissements prioritaires prévus par le CSLP-II Dans le CSLP-II, les secteurs de l’agri-élevage et de l’énergie ont été placés parmi les grandes priorités du Gouvernement. D’autres secteurs comme l’environnement, l’aménagement du territoire et l’urbanisme, ainsi que celui des infrastructures ont également été privilégiés dans le cadre des investissements. Dans le budget 2012, le secteur de l’Agriculture et l’Elevage a un crédit d’investissement de 38,6 milliards de FBU en 2012 contre 36,3 milliards de FBU en 2011, soit une augmentation de 6,3%. En somme le budget total (fonctionnement et investissement) du Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage passe de 7.6% à 11,8% du budget total de l’Etat de 2011 à 2012. Le secteur de l’Energie a un crédit d’investissement de 24,2 milliards de FBU en 2012 contre 14,9 milliards de FBU en 2011, soit une augmentation de 62,4%. Le secteur de l’Eau, de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et de l’Urbanisme a un crédit de 2 milliards de FBU qui a été accordé au programme de reboisement tandis que deux crédits de 1 milliard et 500 millions de FBU sont destinés respectivement à l’aménagement des ravins de Nyabagere et aux aménagements préliminaires du site sur lequel sera construit le palais présidentiel. Quant aux adductions d’eau potable, la principale allocation budgétaire concerne l’acquisition des tuyaux et accessoires pour des réseaux d’adduction d’eau potable pour un montant de 2 milliards de FBU. Le secteur des Infrastructures a un crédit d’investissement de 9 milliards de FBU en 2012 contre 7,9 milliards de FBU en 2011, soit une augmentation de 14%. Ces dépenses représentent 7,1% des ressources nationales allouées à l’investissement estimées à 125,5 milliards de FBU ; Analyse du financement de la santé publique à travers la loi budgétaire 2O12 Selon les dispositions de la Loi de Finances 2012, les moyens consacrés au secteur de la santé devraient permettre d’intensifier le développement des infrastructures sanitaires, d’accroître la disponibilité d’un personnel suffisant et mieux réparti, d’améliorer les conditions d’accès aux soins de santé en faveur des personnes âgées, de généraliser la carte d’assurance maladie et d’assurer l’approvisionnement régulier en médicament.

Le budget global alloué à ce Ministère est de donc de 70,1 Mrds de FBU. Ce budget représente 5,8% du budget global de l’Etat et 4% du PIB. Réparti par habitant, ce budget ne représenterait qu’autour de 5,8 $US par burundais. Ce qui est tout à fait dérisoire.

La part du budget de l’Etat alloué aux dépenses publiques de fonctionnement du secteur de la santé reste également très faible, soit 59,9 Mrds (4,9% des dépenses totales de l’Etat en 2012 soit environ 5$ EU per capita contre 2,3% en 2003). Ce budget est largement inférieur aux normes de l’OMS et aux objectifs d’Abuja auxquels le Burundi a souscrit (15%). Le financement consacré à l’investissement est également très faible : 10,2 Mrds de FBU, soit 0,8% du budget de 2012. Il va essentiellement servir à la réhabilitation et à l’équipement de quelques hôpitaux et centres de santé.

Le budget de 2012 du secteur de la santé consacre 18,2 milliards de FBU pour le financement basé sur la performance (PBF) dans l’objectif de la contractualisation des médecins et des infirmiers. Analyse du niveau d’intégration de la dimension genre dans le Budget Général de l’État de 2012 Le système actuel de classification budgétaire limite les possibilités d’analyse sexo-spécifique. On s’aperçoit à travers le budget actuel que sans se référer explicitement au genre, le Gouvernement a pris certaines mesures permettent effectivement d’accroître l’accès des femmes à l’éducation, à la santé, à l’emploi et au crédit, réduisant ainsi les différences entre hommes et femmes en termes d’accès aux possibilités économiques et sociales. Qui plus est, le genre est une thématique transversale qui peut se retrouver dans beaucoup de secteurs de la vie nationale dans lesquels on retrouve des crédits budgétaires en faveur des hommes et des femmes. Dans le budget de 2012, un montant de 481 millions de FBU est inscrit en faveur des départements et des projets en charge de la promotion de la femme et des projets de promotion l’égalité des genres est tout à fait dérisoire. Évaluation de la prise en compte des recommandations émises dans les rapports précédents d’analyse des lois de finances publiés par l’oag Les rapports précédents sur l’analyse de la loi de finances ont été l’occasion de formuler des recommandations au Gouvernement, au Parlement, aux bailleurs de fonds, à la Société civile, aux médias et à la population. L’annexe montre le niveau de prise en compte de chaque recommandation. Conclusion générale et recommandations En vue d’élaborer des lois de finances qui reflètent la transparence et l’exhaustivité, les recommandations ci-après sont reformulées :

• Au Gouvernement :

 les conférences budgétaires devraient être organisées par un texte réglementaire incluant les dates, les modalités de discussions, les niveaux de responsabilité requis pour la représentation des ministères et institutions, les compositions des groupes de travail et les formats de rapports d’arbitrage ;  mener les réformes en vue de faire passer de l’exercice budgétaire actuel (basé sur l’année calendaire) à celui des pays membres de l’EAC (1er juillet de l’année n au 30 juin de l’année n+1) ;  poursuivre les efforts de réduction et de maîtrise de la gestion des exonérations ;  s’assurer que tous les projets d’investissement budgétisés disposent réellement des garanties formelles de financement ;  faire des services économiques une priorité gouvernementale en leur octroyant des moyens d’investissement suffisants pour stimuler la croissance économique de manière significative ;  mobiliser des ressources suffisantes dans l’avenir en vue d’appuyer les collectivités locales considérées comme base du développement ;  veiller à ce que les investissements prévus sur emprunts extérieurs soient effectivement réalisés et que les financements de projets par les dons en capital soient mobilisés ;  poursuivre les efforts déjà engagés pour l’élargissement de l’assiette fiscale et de mobiliser davantage les recettes intérieures pour les besoins de la viabilité budgétaire ;

• Au parlement :

 Continuer à exiger du Gouvernement le respect des délais dans la transmission de la Loi de Finances pour analyse ;  Exiger chaque fois la présentation de la Loi de Règlement de l’année précédente avant l’analyse du budget de l’année qui suit ;  Organiser des débats en séance plénière sur la Loi de Règlement ;  Assurer le contrôle régulier de l’exécution du budget ;

• A la Société civile :

 Continuer à faire le plaidoyer pour que le budget soit transparent et prenne en compte les besoins réels et les aspirations de la population ;  Participer à l’information du public sur le contenu du budget ;  Faire de la lutte contre les malversations un cheval de bataille pour que les budgets servent réellement la population bénéficiaire.

• A la population : Participer activement aux débats budgétaires ;  Se constituer en association pour mieux revendiquer les droits qui peuvent trouver satisfaction à travers le budget de l’Etat.

 

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