OAG : Rapport d’observation de la gouvernance au cours du premier semestre 2014

lundi 6 octobre 2014,par Jean Bosco Nzosaba

Résumé exécutif

Le débat très passionné sur la révision de la Constitution du 18 mars 2005, qui avait marqué la fin de l’année 2013, s’est poursuivi au cours du premier semestre 2014. Le rejet du projet du Gouvernement par l’Assemblée Nationale, le 21 mars 2014, n’a pas mis fin aux interrogations sur les mandats déjà effectués par le Président de la République depuis 2005. Couplée avec la volonté du CNDD-FDD de se garantir un pouvoir fort au cours de la prochaine législature, cette question constituait le leitmotiv fondamental de la révision recherchée mais non réussie de la Constitution. Aujourd’hui, la question du troisième mandat du Président de la République en place depuis 2005 demeure au cœur des débats politiques, y compris à l’intérieur du parti CNDD-FDD. Ce dernier détient la clé de la réponse à cette question qui tient en haleine les opinions burundaises et les partenaires extérieurs du Burundi. C’est vers ce parti que le Président de la République renvoie la question chaque fois qu’elle lui est posée. D’autre part, selon le Président Pierre NKURUNZIZA, c’est ensuite à la Commission Electorale Nationale Indépendante et à la Cour Constitutionnelle qu’il reviendra de décider de la conformité à la Constitution des candidatures avancées. Ces arguments n’arrivent pas à convaincre les partis de l’Opposition, certaines organisations de la société civile et d’autres acteurs de la vie nationale. La diplomatie africaine et internationale s’en mêle aussi. Jamais le Burundi n’a connu autant de ballets diplomatiques si ce n’est que pendant les années de crise (1993-2003).

Cette question du troisième mandat du Président de la République en place depuis 2005, et celle de la recherche d’un « pouvoir fort et incontestable  » du CNDD-FDD, sont-elles, comme certains le redoutent, à la base du démembrement des principaux partis politiques de l’Opposition, des restrictions dénoncées des libertés publiques et des critiques de plus en plus sévères du pouvoir à l’endroit de la société civile et de la presse ? Ces dernières doivent demeurer des facteurs libres et dynamiques dans la promotion et la défense des droits humains et de la bonne gouvernance, particulièrement sous l’angle de la lutte contre la corruption et les malversations économiques. Ces réalités amènent à une interrogation : que sera le Burundi au lendemain des élections générales de 2015 ?

La promulgation d’un code électoral jouissant d’un « consensus général  », certes mitigé, grâce aux efforts d’un Bureau des Nations Unies pourtant à la fin de son mandat, est loin de dissiper les doutes. Les interrogations qui entourent l’implication des mouvements de jeunes affiliés aux partis politiques, plus particulièrement la Ligue des Jeunes -les IMBONERAKURE- du parti CNDD-FDD, dans l’accès, l’exercice et la protection du pouvoir font redouter des glissements dangereux. Des comportements jugés hors la loi des IMBONERAKURE sont régulièrement dénoncés par des partis politiques de l’Opposition et des associations de la société civile en même temps qu’ils sont relayés par certains médias nationaux. De même, des organisations internationales des droits de l’homme s’en font écho. Les réactions du Pouvoir sont de plus en plus sans concessions. Les poursuites judiciaires contre le président et le vice-président du parti Sahwanya-FRODEBU, l’emprisonnement du président de l’APRODH et les poursuites judiciaires engagés contre deux journalistes de radios privées (Bonesha-FM et Radio Publique Africaine) en constituent des preuves. D’autre part, la fuite du président du MSD et le repli continu du président du CNDD à l’étranger ainsi que le confinement d’Agathon RWASA, Chauvineau MUGWENGEZO et Charles NDITIJE dans le statut flou et difficile à gérer sur le plan électoral , « d’acteurs politiques  », polluent la vie politique burundaise à moins d’une année des élections de 2015.

Malgré les restrictions qu’ils ne cessent de dénoncer, les partis de l’ADC-IKIBIRI sont jusqu’aujourd’hui engagés pour leur participation aux élections générales de 2015. Dès lors, les protagonistes politiques, moraux, sociaux et civils burundais et les partenaires du Burundi au niveau de la sous-région, l’Afrique et la communauté internationale se trouvent face à un défi : tout mettre en œuvre pour que le pluralisme indispensable des élections de 2015 soit bâti et repose sur des leaders politiques ayant des assises dans leurs partis respectifs et non forgés ou agissant au profit d’intérêts sectaires ou uniquement partisans. Ici se pose la question de la désagrégation ou du démembrement des principaux partis politiques susceptibles de s’ériger en challengers du CNDD-FDD aux élections de 2015 et, par conséquent, modifier le rapport des forces politiques au sein des institutions du pays. Sans pluralisme garanti de cette manière, la démocratie burundaise risque d’évoluer de plus en plus comme une ombre d’elle-même. Que faut-il faire alors pour que, comme le Président de la République le déclare régulièrement, les élections de 2015 soient meilleures que toutes celles qui ont eu lieu au cours des 20 dernières années ? S’il n’y a aucun doute qu’elles seront différentes de celles de 2010 ; ne fut-ce qu’en ce qui concerne la participation de l’Opposition, même fragmentée, rien ne rassure qu’elles seront comparables à celles de 2005 et, encore moins à celles de 1993. Des stratégies politiques en mouvement depuis plusieurs mois font redouter plutôt une volonté du CNDD-FDD d’éloigner des compétitions des groupes politiques redoutés comme pouvant le mettre en difficultés lors des élections de 2015. Dans cet environnement, la procédure engagée depuis le mois de mai 2014 pour finalement mettre en place la Commission Vérité et Réconciliation est suivie et commentée de manière divergente par les différents protagonistes politiques du passé burundais, de son présent et de son avenir. De sérieux doutes persistent sur le succès de cette commission dont le processus de mise en place n’a pas intégré tous les acteurs politiques (organisations et personnalités) clés du passé sur lequel la vérité est réclamée et recherchée.

Ce climat politique, loin d’être rassurant, est vécu dans un environnement également marqué par la persistance des difficultés de l’économie burundaise à décoller effectivement. Néanmoins, comme les indices du « doing business  » continuent à enregistrer des améliorations depuis plusieurs mois et que l’exploitation du nickel ne cesse d’être annoncée comme imminente, le Gouvernement espère que le Burundi pourra bientôt remonter la pente. En tout cas, aujourd’hui, la croissance économique du Burundi demeure à la traîne dans les ensembles régionaux dont le pays est membre. En même temps, les recettes de l’Etat ne répondent pas à la pression des dépenses. Cela est accompagné et compliqué par d’autres épreuves d’ordre naturel comme les inondations, la sécheresse et les incendies d’infrastructures commerciales, dont les marchés. Les conséquences de l’incendie du marché central de Bujumbura au début de l’année 2013 ont continué à peser sur la vie économique et les conditions de vie des ménages.

Entretemps, des organisations de la société civile investies dans la lutte contre la corruption et les malversations économiques demeurent sur leur soif quant à la volonté réelle des pouvoirs publics à faire prévaloir la « tolérance 0  ». Dans un pays où des enrichissements illicites continuent à défier les structures de lutte contre la corruption et les malversations économiques, les résistances à opérer les amendements nécessaires dans la loi sur la corruption et les malversations économiques pour faire face à ce fléau posent problème.

Dans le domaine social, le premier semestre de l’année 2014 a été marqué par la « crise de la bourse  » des étudiants à l’Université du Burundi. La gestion de cette crise a mis en évidence des contradictions et des disfonctionnements au sein du Gouvernement. La fermeté adoptée par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique n’a pas pu entamer l’unité des étudiants que l’on avait cru « ramener à l’ordre  » en les renvoyant chez eux. Cette stratégie s’est révélée dangereuse à une année des élections générales de 2015 ; les étudiants renvoyés à la campagne pouvant constituer des « bataillons de propagande  » jetés miraculeusement dans les bras de l’Opposition. Ce risque a-t-il finalement influé sur le Président de la République quand il a ordonné l’abrogation de l’ordonnance ministérielle qui mettait en exécution un décret édicté par le même Président de la République ? C’est ce qui amenait les étudiants des établissements publics de l’enseignement supérieur à poursuivre leurs revendications. Leur retour dans les auditoires n’a finalement été obtenu que grâce à des conseils de personnalités en dehors du Gouvernement et, surtout, du corps professoral.

Cette « crise de la bourse  » dans les établissements publics d’enseignement supérieurs s’est produite en même temps que se pose la problématique de l’encadrement d’une jeunesse de plus en plus désemparée. Le trafic des enfants et des jeunes à des fins multiples dénoncé par une ONG canadienne ainsi que la débauche de jeunes filles révélée par la presse burundaise posent une question fondamentale qui réclame davantage d’attentions de la part des responsables interpellés. Ces questions retiendront-elles l’attention des femmes et des hommes politiques burundais qui solliciteront les suffrages des burundais entre mai et août 2015 ? Ces élections s’annoncent très stratégiques pour l’avenir du Burundi. Bien organisées, elles cimenteront la paix du fait qu’elles accéléreront la stabilisation politique du pays. Si la situation évolue dans le sens contraire, il y a d’énormes risques que le Burundi tombe dans une crise grave pouvant prendre plusieurs formes, s’exprimant isolément ou de manière plus vaste.

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